Cet article se propose de repenser l’impact du superstrat/adstrat francique sur les structures linguistiques du français dans une perspective qui combine la notion de convergence transtypologique avec celle d’aire linguistique (Sprachbund). Alors que la syncope du schwa à l’intérieur du mot , qui représente une tendance commune au français et à l’allemand à diverses phases de leur développement respectif, peut être considérée comme un trait commun à une aire linguistique regroupant le français et les langues germaniques du rameau occidental, d’autres phénomènes comme le maintien d’une déclinaison nominale à deux cas et l’adoption de certains types flexionnels (Hugo/Hugon > Hugues/Hugon et Berta/Bertūn > Berte/Bertain) reflètent la tendance du latin des Gaules et de sa continuation gallo-romane à converger vers le type linguistique des langues germaniques. Une autre manifestation de la convergence linguistique est l’emploi obligatoire du pronom sujet à gauche du verbe conjugué qui s’est généralisé à partir de la fin du moyen français (XVIe siècle). Le caractère tardif de cette convergence vers un type linguistique représenté par les langues germaniques amène à suggérer l’hypothèse de la légitimation au stade de la langue écrite, traditionnellement plus marquée par l’impact du superstrat culturel latin, de tournures qui caractérisait la langue parlée. C’est dans cette perspective qu’on peut parler de germanisation à retardement. Le même décalage entre la phase intensive du bilinguisme latino-germanique ou romano-germanique et les germanismes relativement tardifs survenus au stade du moyen français concerne le remplacement de l’ancien français quant et com par combien et comment, parallèlement au développement de hwio fil > wie fil > wieviel en allemand et de hoeveel en néerlandais d’une part et de wie daz en moyen haut-allemand, hoezo en néerlandais et how that en anglais d’autre part. Enfin, la grammaticalisation de l’ordre VS pour exprimer la question ou dans les propositions commençant par un adverbe peut être considérée comme une marque supplémentaire de l’impact du type linguistique germanique sur l’ancien et le moyen français. Cette germanisation des structures grammaticales du français apparaît comme l’indice d’une « continuité mobile » dans le rapport entre le français et les langues germaniques occidentales, pour reprendre le concept développé par Emanuele Banfi à propos de la frontière linguistique latino-grecque ou romanogrecque. Après la phase intensive de germanisation survenue au moment de la période du gallo-roman, l’ancien français qui en est issu était suffisamment germanisé pour s’intégrer dans une aire linguistique franco-germanique comprenant le français, l’allemand, le néerlandais et l’anglais.
This paper aims at reassessing the impact of the Frankish superstrate/adstrate on the structures of French. It adopts a perspective based on the concept of transtypological convergence, as well as on the notion of linguistic area (Sprachbund). While the dropping of schwas inside the word , which characterizes both French and German at different phases of their development, may be viewed as a feature shared by languages of the same linguistic area where French and West Germanic languages met, other phenomena like the preservation of a two-case nominal declension and the adoption of certain flexional patterns (Hugo/Hugon > Hugues/Huon and Berta/Bertūn > Berte/Bertain) reflect the tendency of the Latin spoken in the Gauls continued by Gallo-Roman, to converge toward the type represented by the Germanic languages. Another expression of this transtypological convergence is the compulsory use of a pronoun subject before the conjugated verbs since the end of Middle French (16th century). The late date of this convergence suggests to consider that despite the pressure exerted by the Latin cultural superstrate, features that were rather characteristic of the spoken language and that probably reflected the impact of the contact with Germanic languages, were legitimized at a relatively late stage of the development of French. This induced us to invent the term « delayed Germanization ». A similar gap beween the intensive Germanization phase characterizing Latin-Germanic or Romance-Germanic bilingualism on the one hand and the Germanisms that only emerged at the stage of Middle French regards the substitution of quant « how much ; how many » and com « how » by combien and comment, respectively. This relexification seems to calque of German hwio fil > wie fil > wieviel or Dutch hoeveel on the one hand and of Middle High German wie daz, Dutch hoezo or German how that on the other hand. Lastly, the grammaticalization of the VS order in order to express the questions or in the propositions beginning with an adverb could be considered an additional evidence for the impact exerted by the Germanic linguistic type on Old and Middle French. The Germanization of the grammatical structures of French hints at a « mobile continuity » in the Relationship between French and West Germanic languages, comparable to the continuità mobile described by Emanuele Banfi with regard to the Latin-Greek or Romance-Greek linguistic border. After the intensive phase of Germanization occurred at the stage of Gallo-Romance, Old French, which is the result of this Germanization, was able to become part of a linguistic area that included French, German, Dutch and English.